« Tu n’as même pas encore dit un mot et je suis persuadée que si tu es là c’est parce que mon père l’a demandé. » « Il a effectivement laissé échappé subtilement, pas du tout si tu veux mon avis, que tu avais eu ton premier rendez-vous chez le psy et qu’un soutien ne te ferait pas de mal. En tant que voisin et fils de son associé même si on n’est pas amis, il a pensé que j’étais la bonne personne. » « Mon père est un connard. » « Le mien aussi, il semblerait qu’on est un point commun. » Anna étouffa un léger rire avant de regarder un instant le garçon à côté d’elle. Finalement elle se remit à fixer le paysage. Il neigeait et elle ne portait qu’un débardeur mais elle s’en foutait. Une éternité passa. Ce n’était en réalité que trois minutes. X portait un gros gilet de laine mais avec la neige qui tombait, il était certainement déjà humide. Il devait avoir froid mais pourtant rester là. « Elle m’a dit, la psy je veux dire, que j’étais instable sentimentalement, déterminée au point d’ignorer et un tas d’autres trucs. » Cette fois ce fut lui qui rit. « T’as perdu ton frère, je pense que c’est normal d’être instable sentimentalement. Si c’était pas le cas, tu serais une psychopathe. » Anna regarda son vis-à-vis plus longuement, cherchant la blague. Il était sans doute le seul à ne pas la trouver bizarre. « Tu ne me penses pas instable parce que je suis presque nue dehors ? » Il la regarda longuement et la brune trouva qu’il en faisait passer beaucoup, des émotions, pour un gosse de quinze ans. Elle aussi n’en avait que quinze et ouais, ça faisait définitivement beaucoup. Soudain il lui attrapa la main. « Putain Anna, t’as perdu ton frère, ta moitié. Je sais à quel point vous étiez proche. Moi je sais qu’à ta place j’aurais crevé de le perdre. Alors non, je m’en fous ce que tu fais, tu tiens debout et ça efface tout le reste. » Que répondre à cela ? Anna n’en savait rien. Juste à quel point cela la faisait sentir vivante alors que depuis la mort de son frère elle errait comme une âme en peine l’effrayait. « Si c’est une technique de drague, elle craint. » « Je suis gay. » « Oh. Je savais pas. » « T’es la première personne à qui je le dis. » « Pourquoi ? T’as honte ? » « Ouais. »

C’est comme ça qu’a vu le jour de l’amitié de X et Anna, aussi simplement que cela. Anna a trouvé n X une personne qui la comprenait et qui l’a aidé à surmonter la mort de son frère. Sans lui, ça n’aurait jamais été possible. Il est le seul à pouvoir l’appeler Sissi ou Ly’, les surnoms que son jumeau donnait à la jeune femme. Il l’a toujours trouvée forte et courageuse. Il pensait qu’une fois son deuil fait, ses tendances à tout faire sans prendre en compte le facteur danger s’estomperaient mais Anna est toujours ainsi. A marcher presque nue quand il fait froid, à traverser sans regarder, à faire pleins de petites choses pour défier la mort. Ce n’est pas du courage, c’est de la folie mais il a pris pour compte le rôle de toujours passer derrière elle. Il l’aime comme jamais il n’a aimé personne et Anna ressent la même chose. Ils sont tellement proches qu’on leur prête une relation. Eux savent que c’est faux mais Anna est la seule à être au courant de son homosexualité. Elle ne le juge pas, est là pour lui quand il faut. Ensemble, ils forment un tout, ils s’équilibrent, ils ont besoin l’un de l’autre ou ils s’écrouleraient lamentablement sur le chemin qu’est la vie.